Une entrée en matière somme toute assez lyrique, mais méritée, pour cette ville qui représente bien le paradoxe indien : immondices et beauté juxtaposées, et comme bien souvent, passé le premier mouvement de recul qu’impose certains details peu ragouttant de cette ville, la beauté l’emporte haut la main.

Je saute des lignes pour Laurence.

Commençons par le transfert d’Udaipur vers Jaipur : plus de 10 heures de train, en sleepers là encore, mais vraiment sympas, passée une intense phase de psychose terrible. Je m’explique : notre train partait à neuf du soir pour arriver le lendemain matin, nous devions donc dormir dans des couchettes, j’avais la 9, georges la 11.

Seulement, une fois arrivés dans le train, y avait effectivement une couchette en hauteur, et en bas une banquette, avec au-dessus les chiffres 9, 10 et 11. Bref on comprends rien, on demande à un mec, il s’avère que georges a celle du haut et moi celle du bas. Hors, à qui est la place 10 ? dort-on à deux sur ma banquette ? georges monte à sa place, enlève ses chaussures – 20 morts d’après la police, 40 d’après les locaux – et s’installe pendant que deux mecs squattent MA banquette. Paranoia, délire de persecution : ils sont sur MA banquette ! Et là le mec à ma gauche entame la discussion. Nan mais d’où il me parle le mec sur MA banquette ?? Bref blablabla, oui je veux être teacher, oui pardon mon accent est à chier mais tu sais, le tiens aussi, etc…

Très sympa, très poli, mais merde, toujours sur MA banquette. Je me vois déjà passer la nuit recroquevillée sur mon bout de siege avec un indien ronfleur qui me bave sur l’épaule… Et là le miracle, il me dit « if you don’t mind i’d like to sleep now », ah mais je demande pas mieux, j’te fais un oreiller avec mon pull ou tu mets la tête sur mes genoux? Mais nan, mieux, il se lève et m’invite à me lever aussi, l’autre mec va sur sa banquette à lui, et mon squatteur, il prend le dossier, il le lève, et bam, baaaaam, BANQUETTE NUMERO 10!!!!!! Parce qu’en fait, il y avait 3 banquettes en hauteur… Vous pouvez rire, mais j’ai bien dû passer une heure et demi à ronchonner des phrases nominales à base de banquette en lançant des regards de biais à mes colocataires de siège.

S’en suit une nuit assez magique, la tête par la fenêtre, la fumée du train dessine des patterns brumeux devant la pleine lune mordorée, énorme, comme un phare, sur fond de montagne radjastanaise et de villages où les habitants ne dorment jamais.  Dit comme ca, ça fait cliché, mais avec l’iPod sur les oreilles et une bande son adéquate – Three Fish « Tremor Void » – c’était magique. Sauf la saloperie de puce qui s’est évertuée à me piquer au visage et sur les mains, fight à mort qui vit finalement ma victoire par abandon de la susnommée suceuse de sang. (applaudissons au passage l’alliteration en « s ».)

Arrivés à Jaipur après avoir traversé certains paysages jamais vus et inoubliables, le quai de la gare sent mauvais, et cette odeur ne quittera pas la grande artère bondée qui nous mène jusqu’à l’hôtel. Ce cheminement vaudra à Jaipur son premier surnom de « ville de la défécation« , mais il eut été dommage de s’arrêter à ça.

Hôtel sympa, prise de repère. Check. On est prêts à se lancer dans la ville rose, qui n’a de rose que le nom, et le logo des autobus. C’est en réalité un rouge brun très beau, les indiens sont très doués pour les pigments.

Première visite de la ville, on fait des markets au hasard, pas à l’aise, chaque rue qu’on traverse est un défis à la mort, le trafic et les klaxons incessants, bref on finit dans un restau à prendre des take away, en parlant avec un mec, dont l’histoire ne retiendra pas le nom, et qui nous propose de visiter sa factory de bijoux.

Le lendemain, première tentative de visite du city palace local. Tentative abortée par la re-rencontre du mec du restau, appelons le Patedeph, qui nous emmène un peu de force visiter ses factories où il nous montre très très fièrement des enfants de 8 ans en train de tailler des pierres. Moi, forcement, je fais un peu la gueule et fini par lâcher que leur place est à l’école – la tronche de Patedeph – qui nous assure qu’ils ne bossent que deux heures par jours et le reste du temps, c’est école. Ah bah ca alooooors, quel hasard, on est tombé pile au bon moment !

Pris en otage dans sa factory, il sort des monceaux de bijoux, persuadé sûrement qu’on va en acheter 14 containers, et nous tient la grappe jusqu’à la nuit tombée. Dans l’interval, deux bouteilles de Pepsi sont disposées devant nous, mais Patedeph poussera le sadisme jusqu’à attendre une heure avant de les déboucher, avec les dents. Pataugeant dans la mare de bave que j’ai créé en balbutiant « Pepsssiii Pepssssiiiii » (ai-je précisé qu’ici il fait entre 38 et 40 degrés?). Au final, on ressortira morts de faim, de soif, de fatigue, avec trois pierres et un collier – la gueule de Patedeph – que georges aura tenté de bargainer à mort – la guuuueuule de Patedeph – au tiers de leur valeur. J’ai cru une minute que notre hôte allait s’immoler par le feu, mais rassurez-vous, tout va bien, pas de barbecue au programme ce midi.

Troisième jours, deuxième tentative de visite du city palace. On a réussi cette fois à approcher à moins de 200 mètres de la porte lorsque nous somme tombé sur Vicky. Et là, l’aventure commence, mafia, diamant, sexe (ou pas) et narcotiques.

Vicky, étudiant en peinture, nous arrête sur le trottoir, exprimant son envie de parler avec nous pour travailler son anglais. Entre temps, vent de sable et tempête, une pluie moussonique s’abat sur Jaipur. On file donc boire un tchai avec Vicky, et on est vite rejoint par son prof de peinture. Questions habituelles : « on fait quoi dans la vie », « pourquoi on est ici », et quand georges évoque ses études, le prof sort son portable et nous dit qu’il a un ami qui travaille dans l’import/export. En moins de temps qu’il n’en faut pour écrire cette phrase, on se retrouve dans de minuscules rues sombres et dédaleuses, trempés de pluie, jusqu’à un escalier boiteux que l’on monte pour finalement déboucher sur des bureaux luxueux remplis de mecs avec 4 portables dernières générations par poche et chaussures en croco assorties au slip. Chose bizarre, Vicky et son prof ont disparus, et on se retrouve donc chez « l’ami« , qui nous invite dans son office, pierres précieuses en veux-tu en voilà, option Boy qui vient nous porter du thé et qui part en reculant et courbettant.

Bref, l’ami, grossiste en bijoux, et parlant un Français impecc’, locataire d’un appart à 3000 euros par mois dans le marais, mettra peu de temps à nous proposer une affaire en or, tout a fait légale, et qui ne va sûrement pas donner de sueurs froides à ma mere quand elle lira ca :

Rien de plus simple, l’ami nous demande tout simplement de faire passer à peu près 30 000 euros de bijoux, par personne, à la frontière. En tant que touristes, nous pourrions supposément transporter légalement pour 15 000 euros de bijoux en France. Sachant que si lui veut exporter les mêmes bijoux, il paye 250 % de taxes de douanes. Il cherche donc des mules, qu’il chargera de bijoux sous-évalués, pour en mettre plus, à qui il promet 10 500 euros en cash à Paris. Par personne. Le truc est simple, il fait des faux papiers attestants que nous, étudiants fauchés, avons achetés 15 000 euro de bijoux, on va ensemble au post office, on envoie le tout en poste le reste à Paris, et on va les chercher tous ensemble, un flingue sur la tempe, à Paris. À l’écouter, c’est clair comme de l’eau de roche, zéro risque pour nous, au contraire lui risque gros car comme les factures sont à nos noms, on peut decider de garder les bijoux et les écouler nous même – bien sûr, je me vois bien les vendre sur Ebay tiens! – Il s’emploit à nous montrer moultes preuves de sa bonne foi en produisant divers papiers qui à mes yeux ont zéro valeur pendant que son associé étale sur le bureau des carats et des carats de pleeeeeins de pièces d’orfèvreries qui brillent en hurlants « vazyyy, petite étudiante fauchée, transporte-nous, mets toi dans la meeeeeerde, c’est Midnight Express!!! ».

Un peu sonnés, on lui dit qu’on va réfléchir et qu’on le recontactera le lendemain. Comme son business est tout a fait légal, il refuse donc de nous donner sa carte et nous interdit d’en parler à qui que ce soit. Un de ses boy viendra nous prendre a notre hotel à 11H.

À peine sorti, on se rend compte de la gueule du binz, de la merde que ca peut engendrer, du surréalisme du truc… On se sent un peu acculé.

Le lendemain, georges part seul au RDV, pendant que je flippe ma race persuadée que des tueurs à gage à chemise fluo vont venir faire irruption dans la chambre pendant que je prends ma douche, et que la dernière scène du film serait du sang coulant dans le siphon, à la Psychose…

Je tente 11 positions de yoga et 14 mantras mais rien n’y fait, les chemises fluos rodent dans mon esprit.

Finalement, georges revient tout guilleret au bout d’une heure et demi. Il a été emmené dans un palace par l’étudiant en peinture qui etait évidement un rabatteur, qui lui a posé des questions sur le « djiggy djiggy » pendant une heure. georges a refusé l’offre et basta. Affaire classée : )

À part ça, on a fini par voir le city palace, on s’est fait plein d’amis, dont le serveur de notre resto internet qui est vraiment sympa, sauf quand on doit payer, ça lui file une sorte de tension inexplicable. Ce midi, le serveur (phonétiquement : Sanguetouche) s’amusait à tchatter avec un mec sur Yahoo Messenger en lui faisant croire qu’il était une nana, et m’a demandé de venir poser devant la webcam pour prouver qu’il était bien une nana, vous voyez le niveau ? on est pas dépaysé de ce côté-là, et on se marre bien avec eux !

Depuis hier, on traine avec un Français, Mika, qui nous a appris cet aprem à jouer au Texas Hold’em, mais les mecs ont vite voulu arrêter parce que je les ai plumé à sec deux fois de suite et que l’ego masculin refuse la suprématie de la femme au poker… Sur 4 parties complètes, jusqu’à écoulement des pions, je les ai plumés 3 fois, j’pense que bientôt on va miser des pierres précieuses, on est à Jaipur merde !

Cet aprem on était avec Giovanni et Mika dans une boutique de pierres precieuses de dingue où le mec te sort toutes les qualités de pierres devant nous, genre tu demande « ruby », il te montre du ruby pourrave jusqu’au truc qui vaut plus cher que mon iPod, pièce. Le mec, Giovanni, c’est un exportateur de pierres qui fait ça depuis 12 ans, et qui parle simultanément 3 langues : anglais / français / italien, c’est l’auberge espagnol à lui tout seul, mais c’est pas toujours évident à comprendre…

En tout cas, tous ces gens sont bien sympas, on a même du mal à partir de Jaipur, et pour cause, on arrête pas d’acheter des pierres et de faire fabriquer bagues, pendentifs etc… On se prend un peu pour des joailliers : tu choisis tes pierres, tu vas voir un silversmith, tu choisis tes designs, et le soir tu les as, et c’est vraiment du beau boulot, et ça revient beaucoup moins cher que d’acheter sur le Johari market, marché international des bijoux de Jaipur, je vous le rappelle, deuxième capitale mondiale des pierres fine et de l’argent.

Guettez notre retour è l’aéroport, on est pas difficile à repérer, on scintille comme des puff daddy…

À bientôt, et d’ici là,
ne faites rien que Buffy ne ferait pas.

Emilie

ps : desolée pour la longueur du mail, c’est le patron qui va être content…

Les photos de Lalie


Jaipur